Depuis
quelques mois j'ai assisté à plusieurs découpes de billets. Chaque
fois le geste est chargé d'émotions et de mises en scène
spontanées. La mise en scène semble tenter de justifier ou de
minimiser le geste. La personne cherche une approbation. Sa propre
approbation ou celle d'une personne la regardant « commettre »
l'acte. Pourquoi est-ce ainsi?
Nous
avons un rapport
à l'argent.
Une relation émotionnelle. Cela nous paraît « normal ».
Il ne faut toutefois pas gratter très profond pour abîmer cette
« normalité ». Si mon rapport
à l'argent
semble bien ancré dans les sphères émotionnelles de mon être,
c'est parce que je donne à l'argent (la monnaie) une place très
importante au quotidien. Qu'est-ce qui n'est pas mesuré en terme de
dollars aujourd'hui? Mon temps vaut de l'argent; trois heures valent
45$, 75$, 300$ ou 3000$ selon ma profession. Lorsque je ne travaille
pas, je peux calculer l'argent que je « perds ». La
maison que j'habite vaut 100 000$, ma voiture 25 000$, mes enfants me
coûtent tant d'argent de nourriture par semaine lorsqu'ils sont
petits et je suis mieux de me préparer parce qu'ils vont me coûter
cher lorsqu'ils seront ados. L'argent mène le monde, c'est le nerf
de la guerre, on ne peut rien faire sans argent. Ce n'est donc pas
étonnant que lorsque je mets les ciseaux dans un 20$ le cœur me
débatte. Parce que mettre les ciseaux dans quelque chose c'est aussi
le détruire, le rendre inutilisable, inutile.
C'est
toute cette charge émotionnelle qui passe dans le coup de ciseau qui
fera d'un 20$ deux demi billets. Puis il y a le moment où tout
s'arrête … rien ne se passe. Aucune alarme, rien n'y personne
n'est disparu, rien n'a changé sinon mon rapport à l'argent. Tout à
coup la question « c'est quoi l'argent? » se pointe à
l'horizon. Qu'elle est la différence entre un billet de 20$ complet
et deux demi 20$? Puis on me dit que le commerce au coin de la rue
« accepte » les demi. Contre un demi 20$ on me donnera
une denrée, un objet, un service.
Il
y a quelque chose de plaisant dans le fait de demander à quelqu'un;
« acceptez-vous les demi? ». C'est comme si on lui
demandait; « me faites-vous confiance? » ou « faites-vous
confiance à la communauté? ». Faites-vous confiance que ce
bout de papier pour lequel vous me donnerez un bout de pain, une
heure de travail ou un verre de bière, vous permettra à votre tour
de répondre à un de vos besoins? Puis il y a aussi le fait que ce
petit bout de papier ne vaut rien pour ceux et celles qui ont trouvé
le moyen d'abuser du système monétaire traditionnel. Y aura-t-il
des abus en lien avec le demi? Je ne sais pas. Mais déjà on peut
dire que cette monnaie complémentaire au dollar canadien aide à
faire la transition entre le rapport
à l'argent
vers le
rapport à l'autre,
un rapport humain qui encourage la prise de conscience et les belles
rencontres.